Bonjour Saskia, pourrais-tu décrypter pour nous cette fonction nouvelle en entreprise, mais dont tout le monde parle. Quelle est son origine et pourquoi est-elle devenue aussi essentielle ?
Le CHO, littéralement « responsable du bonheur au travail », est apparu dans le monde anglo-saxon, plus précisément dans la Silicon Vallée autour des années 2000. Ce rôle, qui s’intitulait à l’époque « jolly good fellow », incarne une approche du travail imaginée par un ingénieur de chez Google qui pensait qu’il serait judicieux et sans doute profitable de se pencher sur le développement des salariés à travers leur bonheur au travail. Une étude de MIT vient d’ailleurs corroborer cette analyse, en démontrant que le bonheur au travail diminue le taux d’absentéisme des salariés.
Mais… comment mesure-t-on le bonheur ?
Ce qui constitue le bonheur est évidemment très différent pour chacun et chacune. Cependant, je pense que dans tous les cas il est difficile d’envisager le bonheur sans qu’il ne soit soutenu par un profond sentiment de confiance. C’est cette confiance des salariés vis-à-vis de leur employeur et de l’entreprise qui va leur permettre d’être à l’aise, voire de leur donner des ailes, dans leur fonction, avec leurs collègues et au sein de leur hiérarchie.
En quoi ce rôle se distingue-t-il de celui d’un.e DRH ?
C’est une dynamique différente qui nous caractérise. Nous avons un budget dédié aux investissements concrets dans tout ce qui favorise le bien-être au quotidien. Cela va par exemple de l’aménagement de l’espace de travail comme la verdurisation à l’intégration de sessions de sport ou à des initiatives de teambuilding. Le ou la DRH est davantage soumis.e à des process importants et bien sûr nécessaires, mais qui peuvent limiter une intervention plus personnalisée. Il me revient alors de penser des projets un peu plus hors cadres, voire en one-to-one. Je côtoie les employés et j’interagis avec eux tous les jours. Nos rôles sont donc complémentaires.
Comment conçois-tu les initiatives à mettre en œuvre auprès des collaborateurs ? Y a-t-il des critères spécifiques qui entrent en jeu ?
Mon parcours dans le milieu sportif me prédispose, je pense, à aborder la notion de bien-être comme une nécessité professionnelle. Il faut casser l’idée de la journée programmée sous pression d’horaires fixes. On ne fonctionne pas tous comme ça. Je suis très attentive au rythme, à l’hygiène et à la qualité de vie et je pense qu’il ne faut surtout pas sacrifier ces valeurs sur l’autel d’une journée de travail « 9-5 ». Je suis convaincue de l’évidence qu’un salarié en forme est un salarié plus productif, quels que soient ses horaires de travail.
Cette conviction influe directement sur le type d’initiatives que je conçois mais aussi sur les moments de la journée où j’estime qu’il est important de les mettre en œuvre. Je ne pense pas que le sport soit secondaire, à pratiquer à des heures impossibles le matin ou le soir au détriment d’une vie sociale ! J’ai des collaborateurs qui me disent qu’ils gagnent du temps le soir grâce au fait qu’ils peuvent faire du sport avec moi en journée, sans que leur productivité ne soit pour autant impactée, au contraire !
Quelles sont certaines de tes missions en cours ?
Mon rôle est d’être à l’écoute des besoins des collaborateurs et de recueillir leur feedback pour créer les bonnes conditions de travail et des moments de convivialité partagés. Ce n’est pas forcément compliqué : proposer une dégustation de café lors de l’installation d’une nouvelle machine à café, fêter les anniversaires mensuels. On travaille actuellement aussi à diminuer non seulement le bilan carbone de l’entreprise mais de chaque employé, ce qui répond à une volonté générale exprimée.
Chaque mission est une occasion de décloisonner les différentes équipes ou pôles et d’effacer les rapports hiérarchiques pour favoriser la cohésion et la collaboration. Ainsi, je lance beaucoup de défis qui permettent de mélanger les membres des différentes équipes. Tu ne vois plus ton patron tout à fait de la même façon après avoir transpiré à ses côtés lors d’une séance de cardio un peu intense ! Cela génère aussi des conversations autres que celles strictement liées au boulot et amène de la bonne humeur dans les échanges d’email. C’est par un ensemble de choses que l’on crée un effet d’entraînement positif qui aura pour résultat, j’espère, d’encourager même les plus timides à participer.
De quelles façons penses-tu que ce métier répond aux attentes des professionnels et reflète la responsabilité des entreprises ?
Les entreprises sont de plus en plus vigilantes au bien-être de leurs salariés, et heureusement ! Elles se rendent à l’évidence qu’en prenant soin d’eux, elles prennent soin d’elles-mêmes. Intégrer le métier de CHO dans une entreprise permet à la direction de rester concentrée sur ses enjeux business tout en confiant à un professionnel le soin de s’occuper de la santé physique et mentale de ses équipes. Pour les salariés le sujet du mal-être au travail est quelque peu désamorcé car ils ont un interlocuteur privilégié qui est là pour répondre à leurs questions, anticiper leurs besoins, être à leur écoute afin de leur éviter de vivre un moment de stress tout seul ou de devoir le formuler comme si c’était un problème qui venait d’eux.
Dans le contexte de la crise sanitaire et de la généralisation du télétravail, cette fonction est devenue primordiale, mais elle doit faire face à de nombreuses contraintes. Comment t’es-tu adaptée ?
Par exemple, au mois de janvier 2022, lorsque le télétravail avait été rétabli, nous avions lancé un défi « Happy January ». Les équipes composées avaient toutes un objectif à atteindre collectivement, mais chaque membre pouvait comptabiliser ses efforts réalisés en fonction de son épreuve choisie (marche, course, piscine, escalade, une bonne habitude « santé » …) au sein de l’entreprise ou hors des murs. Ça a très bien marché ! On voyait passer les kms parcourus des uns et des autres, certains envoyaient des photos de leur footing en famille, les blagues fusaient… D’autres se mettaient ou se remettaient tout juste au sport, après une longue période d’interruption, et étaient encouragés par leurs collègues. Tout ceci a permis de combattre la sédentarité et de renforcer la cohésion malgré l’isolement.
Pour toute nouvelle recrue, qu’est-ce qui favorise une intégration épanouissante ?
L’intégration immédiate aux défis qui sont lancés leur évite de se sentir enfermé.es dans leur rôle professionnel et de rencontrer leurs collaborateurs dans un contexte hors-travail. Je suis évidemment de près leur intégration et demande régulièrement ce dont ils et elles ont besoin.
Et toi, qu’est-ce qui te rend heureuse ?
Personnellement, je me nourris de la progression de chacun.e. Il n’y a pas de « petit » progrès. On peut revenir de très loin. Qu’il s’agisse de se remettre à la marche ou de se fixer l’objectif de courir un marathon, je ressens une immense fierté à chaque fois que j’accompagne quelqu’un dans un axe de progrès personnel. C’est là que réside toute l’importance de mon métier. Les gens sont heureux quand ils se sentent progresser, peu importe l’échelle. Mon rôle est de faire sortir les gens de leur zone de performance habituelle et de les emmener sur un autre terrain où il y a une vraie marge de progression et de satisfaction personnelle. Si j’arrive à faire ça, à la fin de ma journée, je suis contente.