Le contexte change… le champ sémantique suit. La question se pose : Aura-t-il fallu une catastrophe géopolitique et la substitution d’un mot à un autre pour que nous comprenions la gravité des enjeux de la transition énergétique et que nous nous accordions sur les actions à prendre ?
Tribune de Nicolas Rochon, CEO de RGREEN INVEST
En 2021, les prix de l’énergie ont atteint des niveaux sans précédent. L’explication proposée faisait état d’une convergence de forces conjoncturelles, notamment un décalage entre l’offre et la demande exacerbé tant par une reprise économique plus dynamique que prévu après deux ans de pandémie que par un approvisionnement limité.
Cette analyse nous paraissait incomplète. L’envolée des prix de l’énergie qui a généré des taux d’inflation galopants, est en grande partie structurelle : son origine provient notamment du pic de production de pétrole liquide conventionnel de 2008 et du déclin inévitable des ressources pétrolières aggravé par le problème de leur extraction. Elle illustre également l’insuffisance des investissements dans la recherche, l’innovation et le développement de projets d’énergie décarbonée
d’envergure.
Début 2022, l’idée que les forces inflationnistes seraient transitoires et que la volatilité des prix serait un phénomène strictement conjoncturel était battue en brèche par ses partisans initiaux. Désormais la hausse des prix résulterait d’une transition énergétique dont le coût excessif ne justifie ni le développement des énergies renouvelables et décarbonées ni l’interruption de notre approvisionnement en énergies fossiles.
Cette analyse ne nous satisfaisait pas plus que la précédente, car qu’elle ignore le gain en compétitivité* des énergies renouvelables et décarbonées au cours de la dernière décennie et elle fait fi de l’accroissement de leur rentabilité grâce au perfectionnement technologique.
Un virage pragmatique face aux incertitudes
Le 24 février 2022 la Russie envahit l’Ukraine. Les cartes géopolitiques sont rebattues, les hypothèses sont revues et tout le monde s’accorde à dire que les prix ne vont pas baisser de sitôt**, mais qu’ils ne seront pas élevés au point d’empêcher l’accélération du développement des énergies renouvelables***. Face aux fluctuations des coûts de production des énergies fossiles et aux vulnérabilités qu’elles révèlent au sein de nos pays, l’alternative d’une stabilisation des prix et de leur visibilité à long terme devient infiniment plus attrayante. On admet alors que le mix énergétique peut inclure le nucléaire et on reconnaît que les énergies renouvelables, à l’aune de la diminution de leurs coûts et de leur progrès en performance et fiabilité, constituent cette alternative.
Parallèlement, la volte-face des politiques dans le contexte du déclenchement de la guerre en Ukraine s’accompagne d’un glissement sémantique : aujourd’hui, on ne parle plus de « transition énergétique » mais « d’indépendance » voire de « souveraineté énergétique nationale ».
Ce changement linguistique peut s’avérer décisif pour réaliser ce que nous n’avons pas réussi à accomplir en plus de dix ans. A savoir, faire accepter l’urgence de la diversification du mix énergétique, ainsi que la priorité immédiate du déploiement de systèmes d’énergies renouvelables et décarbonées à très grande échelle. Le couplage sectoriel devient également essentiel pour atteindre une production d’électricité durable, stable et décentralisée.
Dans l’ombre de la guerre, une prise de conscience…
Il importe de ne pas en rester à l’étape du constat, il faut agir. Les crises, par les perturbations qu’elles engendrent, ont le potentiel de nous amener à trouver un meilleur équilibre systémique.
Ainsi, malgré les heures sombres que nous traversons, une issue positive est envisageable si nous fédérons tous les acteurs de la chaîne de valeur.
Le retard pris par rapport à la transition énergétique peut être rattrapé si nous assouplissons les freins règlementaires et administratifs existants. Nous pouvons nous affranchir des importations en diversifiant stratégiquement non seulement notre mix énergétique qui devra combiner le renouvelable et le décarboné, mais également nos sources d’approvisionnement par l’industrialisation locale du secteur. Enfin, nous sommes en mesure d’investir massivement dans nos capacités d’adaptation au changement climatique et de faire émerger de nouveaux modèles économiques qui vont renforcer notre résilience.
La volonté est là et les solutions sont à notre portée pour mettre en œuvre les mesures indispensables pour certes, libérer la France et l’Europe de leur dépendance énergétique, mais surtout pour préparer l’alternative qui assurera un avenir durable à notre planète.
* Lazard.com | Levelized Cost Of Energy, Levelized Cost Of Storage, and Levelized Cost Of Hydrogen
** Monetary policy in an uncertain world (europa.eu)
*** REPowerEU : action européenne conjointe en faveur d’une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable (europa.eu)